À l'approche des élections européennes, le droit de vote vient d'être reconnu de plein droit aux handicapés mentaux sous tutelle.
Justine n'a jamais connu le frisson de l'isoloir. "Les choses sont parfois un peu compliquées pour moi, j'ai besoin que l'on m'explique plusieurs fois", raconte la jeune femme de 20 ans qui vit au foyer de la Fraternité, dans les Côtes-d'Armor. Handicapée mentale, elle est passée à sa majorité devant un juge des tutelles. Le magistrat l'a interrogée sur la vie politique hexagonale. Qui est le Président ? Elle vise juste, François Hollande. Est-il de droite ou de gauche ? "J'ai répondu de droite, reconnaît-elle. Et puis, je ne connaissais pas le nom des députés du coin". Le couperet tombe : Justine se voit retirer son droit de vote. Élue présidente du conseil à la vie sociale de son foyer, elle juge aujourd'hui cette décision "injuste". "Je suis capable de voter. Je veux être une citoyenne comme une autre !", lance-t-elle.

Justine peut désormais souffler. "Le rétablissement de la pleine citoyenneté des personnes sous tutelle est désormais automatique, même celles qui ont vu leur droit supprimé par un juge le récupèrent", confirme Sophie Cluzel, secrétaire d'État chargée des Personnes handicapées. Ce changement est le fruit de la loi de la réforme de la justice, votée en février, et promulguée le 25 mars dernier. Les personnes sous protection juridique pourront ainsi voter dès les élections européennes le 26 mai prochain. Seule obligation, s'inscrire sur les listes électorales avant le 16 mai. "Des parents de personnes handicapées ont pleuré dans mes bras, car la loi précédente ne les protégeait pas, elle en faisait des sous-citoyens", ajoute Sophie Cluzel.

En vertu de l'article 5 du code électoral, le placement sous tutelle, qui concerne en majorité des handicapés mentaux, psychiques ou personnes âgées, a longtemps entraîné la privation du droit de vote des majeurs sous protection juridique. Ce n'est qu'en 2005 que la loi handicap le leur a octroyé après accord d'un juge. La loi de 2009 a, elle, inversé la logique : les personnes sous tutelle avaient toutes le droit de voter, sauf interdiction de ce même juge. Dans les faits, 80% des 350 000 Français placés sous tutelle en 2017 se l'étaient vu retirer. Parmi eux, environ 100 000 handicapés mentaux.

La crainte d'un vote sous influence

Comment les juges évaluaient-ils leur capacité électorale ? "Nous avions l'avis du médecin sur le discernement de la personne, et on pouvait lui poser des questions sur la politique, explique Paul Barincou, juge des tutelles au tribunal de Lille et président de l'Association nationale des juges d'instance. Lui a toujours considéré que "la seule volonté des personnes justifiait son accord".  (...)

Auteur de l'article original: Anna Benjamin
Source: L'Express
Date de publication (dans la source mentionnée): Vendredi, 12. Avril 2019
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