Le neurochirurgien Hugues Duffau a révolutionné sa discipline en opérant des patients éveillés de leur tumeur au cerveau. Il a aussi démontré que la zone de Broca, historiquement dévolue au langage, n'existe pas. Une découverte que L'Express a su, le premier, relayer. Alors que son livre, L'erreur de Broca (Michel Lafon), sort le 14 janvier, nous republions cet entretien mémorable.

Son souci de la discrétion frise la pathologie. On ne voit jamais le Pr Hugues Duffau, en dehors des 40 congrès internationaux où il est invité chaque année à exposer ses travaux sur le cerveau. Il n'aime pas, dit-il, "jouer les vedettes".

Ce chirurgien de 47 ans a pourtant imposé dans le monde entier sa technique époustouflante consistant à retirer les tumeurs du cerveau sans endormir les patients, mais il se refuse à "parader" dans les couloirs du CHU de Montpellier en compagnie du photographe de L'Express. Il prend donc la pose dans son bureau, avec simplicité. Fier d'avoir reçu l'équivalent du prix Nobel en neurochirurgie, cet homme qui marche hors des sentiers balisés s'exprime d'une voix douce et égale.

L'air de rien, il assène dans la prestigieuse revue Brain, à paraître en octobre, que la zone de la parole - la fameuse aire de Broca - n'existe pas. Balayant d'un coup d'un seul cent cinquante ans d'histoire de la médecine.

Il y a dix-sept ans, lorsque vous avez pour la première fois opéré une patiente par la chirurgie éveillée, imaginiez-vous qu'elle mènerait une vie normale?

Je n'aurais pas osé en rêver. A mes débuts, les patients vivaient en moyenne huit ans après leur diagnostic de cancer du cerveau, alors très pénible à annoncer. On les opérait endormis, en ôtant le minimum de la tumeur pour ne pas risquer de toucher une zone essentielle. Nous avions la hantise que le patient se réveille muet ou paralysé. A la longue, cette tumeur finissait par récidiver.  

La chirurgie éveillée a tout changé. Je l'ai pratiquée pour la première fois sur une femme de 25 ans. Elle a repris son travail d'infirmière, elle est devenue maman. Sa tumeur s'est stabilisée sans jamais se montrer maligne. Je la revois uniquement pour des contrôles, à deux ans d'intervalle. A ce jour, j'ai opéré plus de 500 personnes, et 90 % d'entre elles sont toujours de ce monde. Moins de 0,5% conserve des séquelles de l'intervention. L'ambiance a du coup radicalement changé dans les services comme le nôtre. Les patients ne se sentent plus aussi menacés, ils veulent surtout savoir s'ils pourront mener la même vie qu'avant. (...)

Auteur de l'article original: Estelle Saget
Source: L'Express
Date de publication (dans la source mentionnée): Lundi, 25. Janvier 2016
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