Alexandre Lafont est un super-héros du quotidien, un jeune homme toujours joyeux, décomplexé, youtubeur de talent, passionné de science et… épileptique. Sur YouTube, il se transforme en Epilepticman, un personnage qu’il a inventé, et qui part à la rencontre du public pour raconter avec beaucoup de tonus et de gaîté la vie quotidienne d’un épileptique. Extrait de "Je suis Epilepticman" d'Alexandre Lafont, publié chez Plon. 

Sur le chemin du retour, un vertige m’incline vers un mur, sur lequel je me râpe le haut du crâne. Je sens du bout des doigts une écorchure juste au-dessus de mon sourcil.

Du sang coule dans mon œil. Ma vision se brouille.

Je fais encore quelques pas avant de tomber à quatre pattes. Je me relève péniblement et m’adosse au mur. Il est environ 22  h  30, je suis seul dans un coin isolé et malfamé, la tête en sang, déboussolé et à demi-conscient de ce qu’il se passe quand, d’un seul coup, mon corps entier se raidit. Je lève les yeux. La dernière chose dont je me souvienne, c’est le spectacle des étoiles sur la voûte du ciel.

Aucune crise d’épilepsie ne ressemble à une autre. Chacune constitue un événement unique et irréplicable. Je ne le sais pas encore, mais ce soir-là, je vais exécuter le double salto, la suite en si mineur, le feu d’artifice des épileptiques  : une double crise avec complications !

Gisant au sol, face contre la terre imbibée de sang, je me réveille. En voulant respirer, j’avale un peu de boue rougie. Pour éviter de me noyer dans mon sang, je dois passer mon bras gauche au-dessus de mon torse et rouler sur le sol, mais une immense douleur dans l’épaule m’en empêche. Je n’arrive à me déplacer que de quelques millimètres au prix d’un effort surhumain. Me voilà bien barré… Je reste ainsi quelques minutes, au terme desquelles je me retourne d’un seul coup. La souffrance me fait pous‑ ser un hurlement qui, à cette heure et en ce lieu, se perd dans le vide.

Trois heures plus tard, je suis toujours immobile sous la voie lactée. Je tente de me convaincre que si je ne trouve pas la force de me redresser et de mar‑ cher jusqu’à chez moi, c’est parce que ma volonté a abdiqué. Inconsciemment, je veux peut-être en finir ainsi, en compagnie des étoiles, plutôt qu’affronter une fois de plus les côtes fracturées, la mâchoire dis‑ loquée, la solitude et l’attente de la prochaine crise. Pour la première fois, j’ai l’impression de me trou‑ ver là où je dois être. Entre le sol et le ciel, je me sens miraculeusement en équilibre. Sous mon dos, le moelleux de la terre amollie. Au-dessus de moi, le vide et l’éternité.

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Auteur de l'article original: Alexandre Lafont
Source: Atlantico.fr
Date de publication (dans la source mentionnée): Dimanche, 13. Mai 2018
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