Fanny Rovani Sidaner, orthophoniste expatriée au Cameroun

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Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Fanny Sidaner, j’aurai 27 ans en mai et je suis orthophoniste diplômée de Paris depuis juin 2010. Mon mari travaille dans le pétrole, ce qui n'est malheureusement pas une richesse française. Nous avons décidé de partir en expatriation il y a 2 ans. Nous avons donc été envoyé au Cameroun, en Afrique centrale. C'était pour moi la première fois que j'allais vivre hors de mon Paris natal, et aussi la première fois que j'allais mettre les pieds en Afrique sub saharienne.
Qu’est-ce qui vous anime dans votre activité ?
Cette question est celle qui m’a posé le plus de problème, et je crois que je vais me contenter d’une réponse très succincte. J’adore mon métier. J’y prend énormément de plaisir et ce d’autant plus que je me sens véritablement utile. J’aime voir les enfants progresser et informer les familles. Je fais ici beaucoup de séances avec les parents, et c’est un vrai plaisir de les voir constater les progrès de leur enfant.
Au contraire, quelles difficultés pouvez-vous rencontrer ?
Nous sommes actuellement seulement 3 orthophonistes diplômés au Cameroun. Une logopède, diplômée de Bruxelles qui exerce à Yaounde et un orthophoniste diplômé de Lome (au Togo), qui exerce à Douala. Je me sens donc assez seule dans mon travail.
J'aimerais souvent pouvoir me tourner vers un collègue, demander conseil, ou simplement réorienter quand je ne suis pas à l'aise. Heureusement j'ai un bon groupe d'amies de fac, nous échangeons très fréquemment sur toute difficulté rencontrée, ce qui me permet d'avoir des avis extérieurs parfois bien utiles.
Le gouffre culturel est impressionnant entre la France et le Cameroun. Les enfants Camerounais arrivent souvent dans mon bureau tardivement. Traditionnellement, les parents, et la famille en général, considèrent que « ça va venir », quelles que soient les difficultés. On m’a déjà expliqué que « l’enfant africain parle tard », pour justifier d’un retard important de langage oral. Quand les parents décident de consulter, en général beaucoup de temps s’est déjà écoulé. En outre, l’audition n’a pratiquement jamais été vérifiée, même lorsque c’est un ORL qui oriente la famille vers moi. Il est donc déjà arrivé à plusieurs reprises que des surdités, parfois importantes, soient diagnostiquées autour de 4 ans voire plus. Ensuite, en ce qui concerne la surdité, il n’y a souvent pas d’appareillage (et jamais d’implantation), ou un appareillage mais pas de piles.
Il n’existe pour ainsi dire pas de lieu d’enseignement adapté aux enfants en difficultés. Les enfants sont 60 par classe minimum dans le public, et même les écoles privées sont en sureffectif. Quand on enfant à un handicap il n’y a donc pas de solution adaptée pour le scolariser. Il faudra qu’il suive tant bien que mal une scolarité « normale » ou alors il sera descolarisé. Les quelques structures qui existent sont destinées à des enfants en très grande difficulté, et le manque de personnel formé et de moyens n’incite guère à orienter les familles vers ces structures.
Pourquoi travailler au Cameroun et quelles sont les différences par rapport à une pratique en France ? (façon de travailler, problématiques particulières, type de population…) ?
Finalement ma pratique quotidienne n’est pas très éloignée de ce que je pourrais faire en France, seulement les cas auquels je suis confrontée sont plus lourds et il n’y a pas d’équipe pluridisciplinaire autour des enfants.
Mon rôle me semble parfois beaucoup plus large qu’en France. Les familles peuvent être très démunies, perdues, et semblent mal informées de ce qui concerne leur enfant. Il peut être difficile d’avoir des renseignements précis sur l’histoire de l’enfant, comment s’est passé l’accouchement, des observations précises sur le développement de l’enfant, .…
Certains enfants n’ont pas de carnets de santé, ou un carnet de santé vierge aux pages périnatales.
Le bilinguisme des enfants camerounais ou camerouno-français/italien/libanais/… est quasi-systématique.
Pour ce qui est de la population française expatriée, les enfants ont souvent vécu dans de nombreux pays avec un suivi orthophonique parfois irrégulier, au gré des départs et arrivées des orthophonistes français à l’étranger.
Quel est le réseau médical / paramédical au Cameroun ? Echangez-vous avec d'autres consoeurs sur place ?
Il y a des hôpitaux publiques et des cliniques privées, comme en France. En revanche, les soins ne sont pas remboursés et il y a un manque de moyen et de personnel qualifié. Je suis en contact avec des kinésithérapeutes et psychologues camerounais, parfois formés au Cameroun, parfois formés à l’extérieur du pays. Il y a aussi comme moi des professionnels de santé expatriés, exerçant des professions qu’il ne serait pas possible de trouver au Cameroun, par exemple une ergothérapeute. J’échange principalement avec les professionnels exerçant dans le même cabinet que moi, et avec des ORL.
Comment faites-vous pour vous procurer du matériel, vous tenir informée sur l'orthophonie ?
Je fait livrer du matériel chez mes parents à chaque passage en France, 2 à 3 fois par an. J'essaye de ne pas lésiner sur les achats professionnels, car comme je suis seule et parfois peu formée dans certains domaines (par exemple en logico maths ...), je sens la nécessité de m'appuyer sur des livres ou du matériel précis. Je passe aussi beaucoup de temps sur Orthomalin (c'est vrai, ce n'est pas de la pub) et sur d'autres sites en ligne pour fabriquer du matériel. J'ai aussi eu la chance de recevoir un ipad pour mon anniversaire il y a un an, ce qui me sert énormément en séance grâce à la multitude d'application développées, qui peuvent être extraordinaires !
L'an dernier j'ai profité de 10 jours passés en France pour faire deux jours de formation avec Dialogoris, ce qui me sert énormément dans ma pratique. J'aimerais faire beaucoup d'autres formations, je sens que cela serait fort utile. Pour le moment, les formations qui m'intéressent se déroulent souvent sur 2 jours, 3 maximum par-ci par-là. C'est bien peu en comparaison des 7 heures de vol et au prix du billet.
Vous avez travaillé à votre arrivée une année scolaire en "centre de rééducation des enfants sourds". Qu'en était-il précisément ?
Il s’agissait en fait plus d’une école, avec notamment des enfants sourds. La surdité n’était finalement pas le seul handicap présent. En raison du manque de structures adaptées, beaucoup de parents inscrivent leur enfant handicapé dans cette école, quel que soit le handicap. Il y avait donc aussi des enfants porteurs par exemple de trisomie 21. Aucun diagnostic n’était jamais posé, certains enfants n’étaient pas sourds mais ne parlaient pas encore à 4, 5 voire 6 ou 7 ans sans que les médecins aient été consultés.
L’enseignement se faisait en français signé mais les professeurs ont un niveau assez pauvre, manquent de vocabulaire et ne pensent pas toujours à signer. Ce qui est fâcheux quand on sait que sur la centaine d’enfants sourds (profonds) scolarisés dans cette école, seuls deux étaient appareillés.
Je m’occupais des enfants à handicap de PSM, en travaillant avec eux individuellement ou par groupe de 2. J’y allais tous les matins de 8h à 12h. Le travail a été très difficile pour moi. Les méthodes d’enseignement sont très éloignées de celles qui nous connaissons en France, de même que les programmes scolaires. J’ai eu du mal à supporter que l’on tape les enfants, surtout qu’ils n’étaient pas responsables de leur « erreur ». Les attentes de maîtresses me semblaient juste inadaptées à l’âge des enfants et à leur handicap.
A mon sens, il y a dans cette école un manque cruel de connaissances sur le développement de l’enfant et sur les handicaps. Par exemple, une maîtresse a puni un jour devant moi un enfant trisomique 21 parce qu’il n’arrivait pas à faire le geste du « 3 » avec sa main.
Bonjour!
J'ai trouvé votre témoignange très intéressant. Ayant vécu au Sénégal,étant mariée à un sénégalais, nous pensons souvent y retrourner (nous vivons actuellement en suisse, je suis orthophoniste en suisse depuis 2005)...je me demande souvent comment les gens en Afrique peuvent se "permettre" des séances d'orthophonie...ont-ils les moyens de se payer cela? Certains organismes les aident-ils? Et vous...pensez-voous être rémunérée correctement? Je sais, c'est très terre à terre comme question et pourtant si j'envisage de partir au sénégal et de pratiquer mon métier, je devrai aussi pouvoir en vivre en partie...
Merci d'avance pour votre réponse.
Corinne Valsangiacomo Ba