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Invité(e): Elise Connors
Ville: Bloomsburg
Pays: Etats-Unis

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m'appelle Elise Connors, diplômée de l'école d'orthophonie de Lyon en 2010. En 2011, j'ai déménagé aux Etats-Unis pour suivre mon mari (qui est américain). Après des débuts professionnels difficiles, je suis maintenant en bonne voie d'obtenir le droit d'exercer ici comme orthophoniste, même si ça a été (et c'est toujours) un parcours du combattant. Depuis l'été dernier, je suis étudiante en Master de Speech and Language Pathology à l'Université de Bloomsburg, en Pennsylvanie. Je suis également assistant de recherche et je travaille sur un projet d'étude sur la voix et le vieillissement. Je partage mon temps entre les cours, la recherche, et les rééducations à la clinique universitaire et au sein d'une école primaire.

Qu’est-ce qui vous anime dans votre activité ?

J'adore les challenges, et les rééducations difficiles. J'aime passer des heures à potasser des ouvrages de rééducation ou à lire des articles scientifiques détaillant de nouveaux traitements. J'aime la diversité de patients que l'on peut rencontrer et les rééducations que l'on peut mener, et surtout la sensation de ne jamais avoir fini d'apprendre. Pour moi, orthophonie ne peut pas rimer avec avec lassitude. Et exercer dans une langue qui n'est pas ma langue maternelle est de loin mon plus gros challenge. Aux Etats-Unis, être "d'ailleurs" est plutôt vu comme une qualité qu'un défaut et personne n'a jamais, à ce jour, questionné mon choix de poursuivre mon activité professionnelle en anglais. Mes intérêts particuliers concernent la rééducation des troubles vocaux et les troubles neurologiques, type démence ou aphasie. Avec l'expérience acquise ici, je compte poursuivre ma carrière dans un service de réadaptation neurologique ou en gériatrie.

Au contraire, quelles difficultés pouvez-vous rencontrer ?

L'exercice professionnel aux Etats-Unis est régi par des règles excessivement draconiennes. Un diplôme de Master en Speech and Language Pathology ne suffit pas pour exercer, il faut en plus passer des examens nationaux (appelés Praxis) pour pouvoir exercer, ainsi que valider une année de stage payée (Clinical Fellowship Year) après la remise de diplôme. Une fois toutes ces conditions remplies, le titre d'orthophoniste n'est pas définitif. La profession est soumis à de rigoureuses obligations de formation continue pour pouvoir garder sa licence professionnelle. Ici, les difficultés concernent surtout le côté administratif, avec des condititions d'exercice professionnel strictes et des relations avec les assurances de santé plutôt tendues (les remboursements ne sont pas automatiques et beaucoup de patients ne sont pas couverts pour plus d'une ou deux séance par an avec un professionnel paramédical). D'une façon générale, il y a beaucoup de paperasse administrative à remplir et notamment pour les assurances. Mais souvent, au sein d'un hôpital par exemple, c'est une secrétaire médical qui s'occupe de la majorité des formulaires à remplir.

Vous travaillez aux Etat-Unis et particulièrement dans une école : quelles sont les différences par rapport à une pratique en France ? (façon de travailler, problématiques particulières, type de population…)

Très peu d'orthophonistes exercent en libéral aux Etats-Unis. La plupart des professionnels sont employés par des hôpitaux, des cliniques, des structures d'éducation spécialisée, des centres d'accueils pour patients en situation de handicap, et bien sûr, des écoles. Les écoles publiques étant financées par les impôts locaux, il existe d'importantes inégalités de ressources entre les différentes villes/états/communes. L'école où j'exerce (comme étudiante) accueille des populations de tous niveaux socio-culturels, et les moyens financiers dont elle dispose sont plus ou moins similaires à beaucoup d'autres écoles des Etats-Unis. Ma première surprise en y arrivant a été le nombre d'enfants handicapés scolarisés dans un cursus classique. Bien sûr, il existe aussi des classes spécialisés, accueillant les enfants en situation de besoins particuliers sur le plan psychologique, comportemental, et/ou éducatif (tels que les enfants sur le spectre de l'autisme). Rien que dans mon école, il y a probablement 2 ou 3 enfants paralysés cérébraux qui viennent en fauteuil roulant et communiquent via une tablette électronique avec détection des mouvements des yeux. Et mon école n'est pas un cas isolé, chaque enfant handicapé est censé être scolarisé selon la règle du No Child Left Behind.

A l'école, il est possible de voir des enfants de grande section jusqu'en terminale. Les rééducations se font dans une grande salle, et chaque enfant quitte sa classe pour une demie-heure pour travailler individuellement ou en groupe avec l'orthophoniste. Chaque enfant vu en rééducation bénéficie d'un plan d'éducation spécialisé (Indvidualized Education Plan) qui est mis au point en complète collaboration avec les parents, l'orthophoniste, et tout le reste de l'équipe éducative (enseignant, bibliothécaire et psychologue inclus).  Chaque point de rééducation est défini par des objectifs très précis qui réglementent de façon rigide le contenu des séances. L'avantage de travailler directement à l'école est sans doute la facilité d'avoir un travail pluridisciplinaire. Impossible de travailler dans son coin sans consulter l'enseignant : chaque intervenant communique avec ses collègues dans l'intérêt de l'enfant.
Les troubles de langage écrit et les troubles logico-mathématiques sont pris en charge par des enseignants spécialisés, ce qui fait que l'orthophoniste travaille uniquement sur la conscience phonologique et la compréhension écrite, jamais sur l'orthographe ou le déchiffrage. Et pas question de parler de dyslexie sans diagnostic médical, ni de mentionner les dyslexies en lien avec un trouble visuo-attentionel : ici, il n'existe (soi-disant) que des dyslexies phonologiques. Et les orthophonistes en milieu scolaire sont souvent débordés, avec généralement 60 à 80 enfants qu'il faut suivre en rééducation, et dans ce cas, les rééducations de groupe sont souvent de mise.

Quel est le réseau médical / paramédical aux Etats-Unis ? Echangez-vous avec d'autres consoeurs sur place ?

Le réseau paramédical est très dépendant du milieu médical. Très peu de paramédicaux exercent en libéral, que ce soient des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes, ou d'autres professions. Le coût des soins d'une façon générale est très supérieur à celui de la France, et la couverture maladie universelle n'existe pas. Même si Obama Care va faire (légèrement) évoluer les choses, il reste beaucoup de patients pour lesquels l'accès à la rééducation orthophonique n'est pas possible. La durée des séjours à l'hôpital ou en soins de suites de réadaptation sont beaucoup plus courts : une durée de deux mois en service de MPR contre quatre à six mois en France pour les patients neurologiques…
Les contacts entre les différents professionnels de santé se limitent à ce que la loi autorise. Les régulations sur le secret médical et la communication d'informations confidentielles est prise très au sérieux et il m'est arrivé de voir des collègues peiner à se procurer un historique médical. Par contre, au sein d'un même établissement, le travail est très similaire à ce que l'on fait en France et la notion de prise en charge pluridisciplinaire est également de mise.

Comment faites-vous pour vous procurer du matériel, vous tenir informée sur l'orthophonie ?

Le matériel coûte très cher ici, que ce soit pour les bilans ou la rééducation. Les tests sont hors de prix mais chaque professionnel en achète. Aucun piratage n'est toléré et les assurances vérifient que les tests utilisés pour les diagnostics soient ceux dont la version est la plus récente. Chaque orthophoniste est légalement tenu à ce qui est appelé Evidence Based Practice : tout ce qui est fait lors du bilan ou de la rééducation est censé être validé par la littérature scientifique médicale ou paramédicale. Et il y a largement de quoi lire, car les Etats-Unis ont un cursus de thèse en orthophonie avec des (docteurs) orthophonistes qui font de la recherche à plein temps, et qui mettent en évidence quels sont les traitements/approches les plus efficaces pour certaines pathologies. Et puis il y a les nombreuses (et obligatoires) formations continues, les conférences et autres colloques auxquels la plupart des professionnels se rendent au moins une fois par an. En gros, chaque orthophoniste est continuellement formée pour avoir le droit de continuer à exercer, ce qui (selon moi) est une très bonne chose. Personnellement je me rends à plusieurs colloques et conférences chaque année et je lis énormément de publications orthophoniques.